Découverte majeure : les "Caravage" s'exposent à Loches

Rome, Selles sur Cher et Loches ont une histoire commune. Il semblerait en effet que ces trois villes aient à un moment de leur histoire détenu deux toiles supposées du peintre italien du XVIIème siècle Michelangelo Meresi dit "Le Caravage". Elles auraient appartenu à la collection du Cardinal Philippe de Béthune, comte de Selles et frère cadet du ministre Sully. Après que les experts se soient penchés sur les œuvres, cette authenticité est contestée et la polémique enfle sur l'attribution réelle ou supposée de leur célèbre auteur. Mercredi 14 juin 2006, la ville de Loches levait le voile sur "La Cène à Emmaeüs" et "L'Incrédulité de Saint-Thomas".

C'est à la Chancellerie de Loches que les élus, les personnalités civiles et religieuses, le Prince Charles-Philippe d'Orléans, et le public lochois ont été conviés à admirer ces œuvres restaurées et précieusement exposées dans une petite salle obscure.

Le député-maire de Loches Jean-Jacques Descamps ne cache toujours pas son émotion devant tant de beauté : "Depuis que Pascal Dubrisay mon adjoint à la culture, a découvert avec François-Charles James, et Guy du Chazeau, respectivement conservateur régional et conservateur départemental du Patrimoine, ces œuvres poussièreuses, cachées au fond de notre église Saint-Antoine, notre ville, depuis 5 ans, vit une aventure extraordinaire".

Car en effet après les recherches effectuées sur le fameux blason apposé sur les toiles et la découverte de l'inventaire des biens du propriétaire datant de 1608 par Jean-Pierre Babelon, membre de l'Institut de France, portant la mention d’ "originaux", la DRAC d'Orléans, direction régionale des affaires culturelles, a proposé un classement immédiat des œuvres "Monuments historiques".

Le Ministre de la Culture alerté a alors saisi ses experts du musée du Louvre et de la Direction des Musées de France, mais hélas ces derniers n'ont pas daigné donner suite aux premières investigations au vu d'un dossier succinct élaboré par une modeste commune.

"Il faut souligner qu'il aura fallu 5 ans pour authentifier le dernier Caravage découvert en Irlande et … 40 ans pour La Pietà de Fouquet tout prés d'ici à Nouans les Fontaines" poursuit le maire.

Aujourd'hui les "pour" et les "contre" s'affrontent, les uns avançant de troublantes vérités, les autres affichant de douteuses contestations.

La traçabilité des tableaux apparaît cependant évidente. Le Cardinal Philippe de Béthune est nommé Ambassadeur de France à Rome de 1601 à 1605. Diplomate hors-pair, amateur d'art et collectionneur exceptionnel, il meurt en 1649 dans son château familial de Selles sur Cher (41). L'inventaire de ses collections est conservé aux Archives Nationales. Elles font état de l'existence de 4 peintures originales du Caravage.

A la mort de Philippe de Béthune, les biens sont partagés entre ses enfants et, semble-t'il, les Caravage restent à Selles sur Cher, puis ils sont transférés à la Chartreuse du Liget prés de Loches où la famille possède une chapelle. Une saisie révolutionnaire les fait déposer dans un dépôt probablement situé dans la Chapelle de l'hôpital avant qu'ils n'atterrissent à Saint-Antoine de Loches. C'est là qu'ils furent retrouvés, dissimulés sous une épaisse couche de crasse, après deux siècles d'oubli.

Le 3 septembre 2004, le laboratoire Archipel est chargé de l'étude des œuvres et conclut d'étonnantes similitudes avec les productions du Caravage : texture et qualité du support utilisé, emploi d'une préparation rouge, analyse de pigments identique à ceux, particulièrement coûteux, utilisés par Le Caravage, etc.

Laissées "dans leur jus", les toiles font également apparaître un mode fixation et de cloutage caractéristiques du XVIIème siècle. Voilà pour les premières expertises. Il faut cependant noter que Le Caravage, peintre collectionné de son vivant par de riches amateurs d'art, a suscité les passions au point de voir apparaître sur le marché de nombreuses versions de ses créations, sans compter les restaurations quelquefois mal conduites au fil des siècles.

En attendant de plus amples révélations au vu des progrès scientifiques constants réalisés dans ce domaine, la ville de Loches invite le public à admirer ces deux chefs d'œuvres caractéristiques d'une époque où un peintre a su marquer son temps en remplaçant par une expression simple et réaliste les artifices du Maniérisme étendant Le Caravagisme en Italie puis en Europe.

Michelangelo Merisi dit "Le Caravage" (1573-1610)

A 15 ans, Le Caravage s'installe à Rome. Il lutte contre la misère. Une dizaine d'années plus tard, il est reconnu par des mécènes illustres et puissants et devient "le celebrissimo pittore".

De tempérament colérique et violent, il multiplie les querelles, rixes et autres affaires de mœurs. Il fuit vers Naples, Malte et la Sicile et meurt de la malaria à 37 ans sur le chemin du retour à Rome.

Le Caravagisme est apparu vers 1600 et présente sur de grands tableaux des scènes de la vie quotidienne, scènes de taverne, concerts, diseuses de bonne aventure. La peinture religieuse met en scène des gens humbles. Les personnages grandeur nature surgissent d'un fond sombre. Ce clair-obscur fige l'action dramatique et propose l'essentiel de la scène au regard du lecteur.

Annie Leloup